Si Dieu nous fait à son image
Si c'était sa volonté
Il aurait dû prendre ombrage
Du malin mal habité
Qui s'immisce et se partage
L'innocence immaculée
De mon âme d'enfant sage
Je voudrais comprendre


De ce paradoxe
Je ne suis complice
Souffrez qu'une autre
En moi se glisse
Car sans logique
Je me quitte
Aussi bien satanique
Qu'angélique


Si chaque fois qu'en bavardages
Nous nous laissons dériver
Je crois bien que d'héritage
Mon silence est meurtrier
Vous me découvrez blafarde
Fixée à vos yeux si tendres
Je pourrais bien par mégarde
D'un ciseau les fendre



Paroles : Mylène Farmer
Musique : Laurent Boutonnat

(1988)






Je voudrais comprendre...


Un poteau. Des cornes métalliques posées dessus. Un terrain vague.
Une jeune femme rousse, un homme, assis côte à côte.

Un serpent glisse lentement sur le sol.

Une flaque de boue. Une enfant y plonge la main et en sort un Christ "décrucifié".
L'enfant lève les yeux et regarde un groupe d'hommes et de femmes qui arrive.
Ils sont habillés de noir. Les femmes sont voilées, les hommes portent un chapeau.

Le couple est toujours assis. L'homme s'entaille une main.
La jeune femme fait de même. Ils mêlent leur sang.

Le groupe se rapproche tandis que l'enfant "recrucifie" le Christ
à l'aide d'une chaussure. Des enfants cours, on s'agite.
Un autre homme. Une femme. Un enfant. Le couple.
Ils ont tous l'air effrayé, anxieux...

Il ne faut pas décevoir les riches spectateurs.
Car c'est pour cela qu'ils sont venus...
Car ce sont eux qui leur font gagner un peu d'argent.
Les spectateurs ont pris place sur des bancs.

Un homme attrape les cornes en métal posées sur le poteau.
La jeune femme rousse se retourne. Elle comprend que c'est son tour...
Elle semble se demander pourquoi... Elle a peur mais ne dit rien.
On lui attache les cornes sur le front, on lui lie les mains dans le dos.





Les spectateurs attendent le commencement de l'étrange cérémonie.
Les femmes lèvent leur voile, les hommes ôtent leur chapeau...
Le spectacle peut commencer...

Un enfant apporte une banderille à l'amant de la jeune femme.
Celle-ci sourit : après tout ce n'est qu'un jeu...

Elle se prépare... Son amant lui sourit... Elle baisse la tête...
Son pied frappe le sol. Il la défie en agitant sa veste devant elle.
Elle s'élance, cornes en avant.
Elle passe à côté de lui. Il l'évite. Il rit.

Les spectateurs ouvrent leur porte-monnaie.
Les femmes lancent des pièces en direction du matador.
Elles en redemandent...

Et l'étrange rituel continue.
Elle s'élance, le frôle. Il l'évite. Ils lancent des pièces.

Soudain, la jeune femme blesse un enfant à la main.
Les spectateurs applaudissent, appeurés mais ravis.

Le matador tire alors la banderille de son fourreau.
Elle le regarde, confiante...Elle s'élance à nouveau.
Il la blesse à l'épaule.





Témoins de ce cérémonial étrange, les spectateurs applaudissent.
Les pièces pleuvent. L'homme parade.
La jeune femme blessée souffre... Il l'a trahi...

Soudain, elle relève la tête et l'on découvre son visage.
Il a changé.
Ses yeux ne sont plus les mêmes.

"Aussi bien satanique qu'angélique..."

Elle s'élance, une dernière fois. Le matador parade. Il ne la voit pas arriver.
Quand il se retourne, il est trop tard.
Les cornes s'enfoncent dans son ventre, le métal transperce sa chair.

Il s'effondre.





La jeune femme tombe à genoux et le regarde, étonnée.
Il souffre, elle lit la douleur sur son visage.

La pluie commence à tomber.
Les spectateurs se lèvent et s'en vont.
Ils ont vu ce qu'ils voulaient voir...

Les enfants, les femmes, les hommes ramassent les pièces
avant qu'elles ne disparaissent dans la boue.

La jeune femme reste seule. Elle regarde son amant mourir.
Elle ne comprend pas... Elle lève son visage vers le ciel.

Une larme de sang coule le long de sa joue...


































Le studio reproduisait une arène expressionniste avec des ombres peintes et des cadavres à la place des spectateurs. Ethel devait jouer le rôle principal, celui d'un jeune taureau fou qui s'éprenait du matador et le lui exprimait en lui transperçant le ventre avec ses cornes. Je jugeais cette idée magnifique et riche de sens : "Chacun tue ce qu'il aime", a écrit Wilde, l'un de mes saints patrons. J'attendais le moment où je verrais la belle foncer, cornes en avant, vers celui que j'aurais voulu être...


Amélie Nothomb
(1997)




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