Métaphysique de tubes


C'est pourquoi, à ce stade de son développement, nous appellerons Dieu le tube.
Il y a une métaphysique des tubes. Slawomir Mrozek a écrit sur les tuyaux des propos dont on ne sait s'ils sont confondants de profondeur ou superbement désopilants. Peut-être sont-ils tout cela à la fois : les tubes sont de singuliers mélanges de plein et de vide, de la matière creuse, une membrane d'existence protégeant un faisceau d'inexistence. Le tuyau est la version flexible du tube : cette mollesse ne le rend pas moins énigmatique.
Dieu avait la souplesse du tuyau mais demeurait rigide et inerte, confirmant ainsi sa nature de tube. Il connaissait la sérénité absolue du cylindre. Il filtrait l'univers et ne retenait rien.





Je pris donc un air béat et solennel et, pour la première fois, je voisai les sons que j'avais en tête :
- Maman !
Extase de la mère.
Et comme il ne fallait vexer personne, je me hâtai d'ajouter :
- Papa !
Attendrissement du père. (...) Je pensai qu'ils n'étaient pas difficiles.
(...) Je me félicitai de mon choix : pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?





(...) je décidai d'apprendre à lire. J'annonçai cette résolution ; on me rit au nez.
Puisqu'on ne me prenait pas au sérieux, je m'y mettrais toute seule. Je ne voyais pas où était le problème. J'avais appris par moi-même à faire des choses autrement remarquables : parler, marcher, nager, régner et jouer à la toupie.
Il me parut rationnel de commencer par un Tintin, parce qu'il y avait des images. J'en choisis un au hasard, je m'assis par terre et je tournai les pages. Il me serait impossible d'expliquer ce qui se passa, mais au moment où la vache ressortit de l'usine par un robinet qui construisait des saucisses, je m'aperçus que je savais lire.

Amélie Nothomb - Métaphysique de tubes - ©-Albin Michel 2000.


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