Attentat
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La première fois que je me vis dans un miroir, je ris : je ne croyais pas que c'était moi. A présent, quand je regarde mon reflet, je ris : je sais que c'est moi. Et tant de hideur a quelque chose de drôle. Mon surnom arriva très vite. Je devais avoir six ans quand un gosse me cria, dans la cour : "Quasimodo !" Fous de joie, les enfants reprirent en choeur : "Quasimodo ! Quasimodo !"
Pourtant, aucun d'entre eux n'avait jamais entendu parler de Victor Hugo. Mais le nom de Quasimodo était si bien trouvé qu'il suffisait de l'entendre pour comprendre.
On ne m'appela plus autrement. Personne ne devrait être autorisé à parler de la beauté, à l'exception des horreurs. Je suis l'être le plus laid que j'aie rencontré : je considère donc que j'ai ce droit. C'est un tel privilège que je ne regrette pas mon sort. Et puis il y a une volupté à être hideux... |
Le studio reproduisait une arène expressionniste avec des ombres peintes et des cadavres à la place des spectateurs. Ethel devait jouer le rôle principal, celui d'un jeune taureau fou qui s'éprenait du matador et le lui exprimait en lui transperçant le ventre avec ses cornes. Je jugeais cette idée magnifique et riche de sens : "Chacun tue ce qu'il aime", a écrit Wilde, l'un de mes saints patrons. J'attendais le moment où je verrais la belle foncer, cornes en avant, vers celui que j'aurais voulu être... |
Il n'y a pas d'amour impossible. |
Amélie Nothomb - Attentat - ©-Albin Michel 1997. |